41. Бессознательное в группах Д. Анцье (L'inconscient dans les groupes. Didier Anzieu)
41. L'inconscient dans les groupes. Didier Anzieu
Universite de Paris, France
1. La perspective psychanalytique appliquee aux petits groupes n'intro-duit pas seulement des changements de methode et de conceptualisation par rapport aux autres approches scientifiques de la vie des groupes. Le changement le plus important reside dans le niveau des faits vises et dans le principe explicatif se rapportant a ces faits. Le niveau est celui des processus psychiques non plus perceptifs et cognitifs mais inconscients. Le principe transpose celui enonce par Freud pour la comprehension des reves: les phenomenes tres divers qui se presentent, dans les petits groupes, aux participants aussi bien qu'aux observateurs s'apparentent a des contenus manifestes; ils derivent de certains contenus latents, dont le nombre est beaucoup plus limite. Cette derivation obeit a des mecanismes precis, les uns generaux et propres a toute production de l'inconscient, les autres specifiques de la situation de groupe.
Donnons quelques exemples du retournement epistemologique auquel a conduit l'application de ce principe. Le groupe n'est plus envisage comme un systeme d'energies ou de forces, mais comme un objet d'investissements pulsionnels avec leurs accompagnements d'affects et de representations imaginaires. La faciliteou les difficultes de communication entre les mernbres sont apparues dependre de la resonance ou des oppositions entre la vie imaginaire inconsciente des mernbres, c'est a-dire de phenomenes sur lesquels n'agissent pas la plupart des methodes de discussion qui pretendent ameliorer les dites communications. Le leadership a perdu la fonction privilegiee que lui assignait la dynamique de groupe, selon Kurt Lewin, poursereduire a une formation de compromis analogue a ce qu'est le symptome en psychopathologie individuelle; il est en effet au service non seulement des desirs communs, point de vue auxquels se sont arretes la plupart des auteurs non-psychana-lystes, mais il est tout autant au service des mecanismes de defense du Moi; c'est lemerite des psychanalystesgroupauxd'avoir attire l'attention sur le leader comme porte-parole de la resistance du groupe ou d'un sous-groupe a des desirs inconscients communs et latents. Le terme d'affinite (sympathies et antipathies entre les mernbres) n'a pas non plus echappe a la critique psychanalytique, caril recouvre d'une meme etiquette au moins deux processus tres differents, tantot l'identification d'un membre a telle instance psychique percue par lui chez un autre (mecanisme de defense du Moi, Surmoi, Ideal du Moi, Moi ideal), tantot le transfert "lateral" d'un objet interne d'amour ou de haine sur un camarade de groupe.
Il n'est pas suffisant de dire que le niveau des faits vises par l'explication psychanalytique est celui de l'inconscient, car celui-ci comporte a son tour differents niveaux de regression. Il у a dans les groupes des processus inconscients de niveau oedipien (recherche d'un modele identificatoire dans le chef ou les camarades, ambivalence envers l'autorite et les regies, mobilite des buts et des moyens). Ces processus apparaissent meme plus frappants dans l'observation des groupes que dans les psychotherapies individuelles. La tension conflictuelle entre trois poles: un pole "nevrotique", un pôle "narcissique" et un pole "psychotique", s'impose la comme une donnee de base pour la comprehension de la vie des groupes.
La methodologie psychanalytique dans les situations de groupe peut se resumer assez schematiquement comme suit (cf. Anzieu, D., 1971a). S'il s'agit de groupes occasionnels, a but de formation ou de psychotherapie, l'observation des faits se centre sur la resistance et le transfert (cf. Bejarano, A., ch. 2, in Anzieu, D., et coll. 1972; cf. egalement Mathieu, M., 1973). S'il s'agit de groupes institutionnels, elle essaie de reperer les signes du blocage de la vie imaginaire collective inconsciente. Dans les deux cas, l'explication des faits observes requiert une quadruple approche: dynamique (quel desir est en conflit avec quelle defense?), economique (quels fantasmes, quelles identifications, quels investissements et contre-investissements sont en jeu?), topique (quelle instance psychique, Moi, Surmoi, Ideal du Moi, Moi ideal, fonctionne-t-elle-la?), genetique (a quels stades de developpement du Moi et des pulsions у a-t-il regression ?). L'elaboration d'une explication de ce genre necessite soit le recours a des concepts psychanalytiques existants, et transposables sans trop de difficulte de l'inconscient vertical mobilise par la cure individuelle a l'inconscient horizontal suscite par les groupes, soit l'invention de concepts psychanalytiques nouveaux, specifiques de la dimension groupale de l'inconscient.
La psychanalyse ne se differencie pas des autres conceptions groupales seulement du point de vue de la recherche xondamentale. La pratique formative, qui constitue la principale application de la dynamique de groupe se trouve aussi conduite, par les psychanalystes, dans un esprit et vers des buts differents. L'americain Kurt Lewin, par exemple, met l'accent sur l'amelioration du rendement individuel par le petit groupe, sur la cooperation et le соnsensus de mernbres, sur la collegialite des decisions. Or, pour le psychanalyste, les objectifs lewiniens relevent d'une ideologic qui est, d'une part, defensive contre l'etorisation des rapports interindividuels que declenche par ail leurs toute situation de groupe non-directive et qui, d'autre part, invite a se debarrasser dumauvais objet par sa projection au dehors (cf. Anzieu, D, ch. 3, in Anzieu, D, et coll. 1972). Les buts des methodes formatives de groupe, quand elles sont appliquees selon un esprit psychanalytique, visent surtout une plus grande liberie interieure des participants, une meilleure realisation de leurs possibilites, une disponibilite accrue d'ecoute des mouvements inconscients qui circulent entre les humains, et un meilleur respect des regies symboliques qui premunissent d'etre aveugles ou alienes par ces mouvements inconscients.
2. Freud a, entre 1895 et 1900, invente la psychanalyse en confrontant l'observation de ses patients hysteriques et obsessionnels a l'auto-analyse de ses reves (cf. D. Anzieu, 1975 a). Aussi n'est-il pas etonnant que sa premiere theorie ait concerne seulement l'appareil psychique individuel (le conscient, le preconscient, l'inconscient). Trois facteurs Font ensuite conduit a prendre en consideration le role joue par l'inconscient dans la vie collective:
a) les travaux des sociologues sur le totemisme, la horde primitive, les foules;
b) l'experience de la vie de groupe et des conflits avec les premiers disciples au sein des institutions psychanalytiques naissantes;
c) enfin, le souvenir retrouve, au cours de son auto-analyse, de la vie de groupe intense et riche pendant les trois premieres annees de son existence a Freiberg, ou trois families vivaient en symbiose: celle dont Freud etait le fils aine; celle de son demi-frere, son aine de vingt ans; et celle du serrurier qui leur louait dans sa maison une chambre et une boutique: a cette derniere famille appartenait la bonne qui elevait Freud. Entre 1912 et 1922, la double intuition fondamentale de la solidarite mais aussi de l'ambivalence des membres d'un groupe entre eux fait en quelque sorte retour dans la pensee de Freud a partir d'un fond personnel tres ancient et elle contribue au remaniement de sa premiere theorie de l'appareil psychique.
Totem et Tabou (1913-4), ecrit a l'occasion des demeles qui rejeterent Jung hors du mouvement psychanalytique, generalise la decouverte contenue dans l'interpretation des reves (1900): le complexe d'Oedipe ne se trouva pas seulement au coeur du conflit nevrotiquej il constitue aussi le noyau de l'education et de la culture, l'interdit de l'inceste est la loi qui, en reglant les rapports entre les sexes et les generations, fonde la vie sociale (les psychanalystes groupaux se sont recemment apercus qu'il fondait aussi les relations au sein des petits groupes informels). Le meurtre collectif du pere, suppose reel a l'origine, symbolique ensuite, rend possible, chez les membres d'une communaute, l'idealisation du disparu, aime et redoute, et Г incorporation de son image, qui devient alors le soubassement de la loi morale interieure. Celle-ci commence avec l'interdiction de tuer son semblable - la definition du semblable pouvant etre plus ou moins large ou restrictive selon la civilisation et selon les conjonctures. Pointons au passage le souci constant des collectivites et des groupes de pourchasser de leur sein l'heterogeneite, ressentie comme une menace envers leur cohesion: les differences sont censees etre source de differends. Les reconnaitre et les tolerer, au lieu de les redouter et de chercher a tout prix a les reduire peut constituer sur le point un resultat possible du travail psychanalytique dans les groupes.
C'est avec Psychologie collective et analyse du M о i (1922) que Freud prend le tournant d'ou va sortir la seconde theorie de l'appareil psychique (le Qa, le Moi, le Surmoi). Cet appareil n'est plus con-cu, comme en 1900, sur un modele moitie optique (production d'images reelles et virtuelles), moitie electroneurologique (transport d'energie d'un lieu a un autre). Le modele est maintenant cherche dans la vie des groupes, avec 492
ses sous-groupes, ses leaders, ses affinites, alliances, tensions entre les membres, sa negociation de perpetuels compromis en vue de buts acceptables pour tous. Le fonctionnement mental n'est individuel qu'en premiere apparence et qu'au terme d'une longue evolution: en fait, c'est un theatre interieur ou s'affrontent des personnages, interiorisation des parents, representants, des pulsions et des mecanismes de defenses, vehicules des investissements psychiques, et qui agissent soit isolement, soit regroupes en sous-systemes. Certains processus psychiques dont ils sont les figurants s'organisent alors sous forme de mises en scenes imaginaires et inconscients, les fantasmes, dans lesquels le sujet s'assigne un simple role de spectateur. D'ou un pointcle pour la comprehension des relations entre les individus, notamment dans les groupes: un sujet humain tend a faire entrer les autres dans les divers roles qui constituent son propre fantasme inconscient.
Les instances psychiques derivent des identifications. Le Surmoi (systeme des regies et des interdictions) resulte de l'interiorisation des relations, sur le plan de l'autorite, entre parents et enfants. L'Ideal du Moi (systeme des valeurs personnel les) resulte de l'interiorisation des relations, sur le plan de l'estime, entre parents et enfants. Le Moi ideal (ideal infantile de toute-puissance narcissique) perpetue l'identification archa'ique au sein maternel omnipotent.
C'est dans Psychologie collective et analyse du тп о i que Freud expose la decouverte de l'identification, et qu'il montre qu'elle se trouve etre en meme temps le soubassement psychique de toute vie sociale. Il compare l'identification a la suggestion hypnotique et a l'etat amoureux. Dans les grandes organisations comme l'Armee ou l'Eglise fonctionnent deux types complementaires d'identifications. D'une part, le chef est interiorise, son imago se substitue а l'Ideal du Moi de chacun. La constitution, grace a cette operation, d'un Ideal du Moi commun a tous les membres assure l'unite de la collectivite. D'autre part, s'etablissent des reseaux d'identification mutuelles des membres les uns aux autres, identifications fonctionnant cette foisci au niveau du Moi et qui assurent non plus l'unite, mais la cohesion des membres du groupe. De plus, alors que I'identification au chef en tant que pere bon et tout-puissant est une identification imaginaire, (on retrouve la le theme de Totem et Tabou), l'identification des membres entre eux est symbolique, tous se sentant freres en tant que fils du meme pere. Le destin deces deux sortes d'identification est different. L'identification mutuelle protege le groupe des risques d'eclatement en maintenant au niveau le plus bas l'agressivite intra-groupe. Au contraire, l'imago admiree du chef bon et puissant, faisant regner la Concorde au sein de la collectivite et appelant a la lutte contre un ennemi commun a l'exterieur, fait tot ou tard l'objet d'un renversement de signe car toutes les imagos, etant bivalentes, ont une face positive et une face negative. L'imago du chef providentiel se retour-ne tot ou tard en celle, redoutable, du pere indifferent et cruel. Cette seconde face de l'imago paternel mobilise l'agressivite, qui fait alors retour dans le groupe. L'unite de celui-ci ne peut alors etre preservee qu'au prix d'un sacrifice interne, celui de son chef oil ceiui, substitutif, d'un bouc-emissaire, d'un deviant, d'une minorite.
Bien que Freud ne l'ait pas explicite, la theorie en sera faite par sa disciple anglaise, Melanie Klein; son analyse de la "Psychologie collective" dont nous venons de donner le resume montre bien l'interaction fondamentale de l'identification et de la projection. Les collectivites comme les individus s'incorporent le "bon" pour l'avoir bien a eux et en eux et ils rejettent au dehors le "mauvais". L'idealisation a toujours pour corollaire quelque part la persecution. Mais cet equilibre est precaire. Pour les collectivites comme pour les individus, le bon est facilement perdu, le mauvais vite envahissant, et le jeu de leurs permutations est sans fin.
La fecondite de l'hypothese. de l'identification n'est pas encore epuisee aujourd'hui, un demi-siecle apres sa decouverte. Les successeurs de Freud l'ont notablement enrichie. Les identifications imaginaires a l'imagо paternel ont ete completers par celles a l'imago materne, clivees en bonne et mauvaise. L'identification a l'agresseur et l'identification a la victime ont ete decrites. L'opposition entre l'identification et la projection a ete attenuee par la prise en consideration de l'identification projective. Enfin entre les identifications primaires et imaginaires et les identifications secondares ou symboliques une place a ete faite a l'identification speculaire ou narcissique.
Encore que nous ne puissions ici entrer davantage dans les details, les applications a la psychologie des petits groupes sont considerables et toutes les consequences sont meme loin d'en avoir ete tirees. Du point de vue psychanalytique, la realite psychique d'un groupe, c'est d'etre un systeme, plus ou moins stable ou mobile, d'identifications-projections. La reside meme une difference essentielle en ce qui concerne le travail psychanalytique dans la cure individuelle et dans les situations de groupe. Dans le premiers cas, ce travail va jusqu'a debusquer le fantasme individuel: Dans le second cas, ou il n'y a pas de fantasme coramun, ma is seulement des resonances et des antagonismes entre des fantasmes individuels et ou ceux-ci restent generalement inaccessibles а l'analyse, ce travail ne peut porter que sur la mise en question des identifications-projections. Les remaniements identificatoires constituent d'ailleurs le principal benefice qui peutetre retire d'une participation a des groupes aussi bien occasionnels qu'institutionnels (Cf. Missenard, A., ch. 4, in Anzieu, D. et coll. 1972).
3. L'ecole anglaise, issue des travaux de Melanie Klein sur la psychanalyse des petits enfants, a apporte des developpements decisifs a la psychanalyse groupale dont Freud n'avait fait que jeter les bases. Melanie Klein, qui n'a jamais rien publie sur les groupes, n'a eu par elle-meme qu'un apport indirect sur cette question. Mais, outre les distinctions deja evoquees et qui sont siennes, de la bonne mere et de la mauvaise mere ainsi que du bon objet et du mauvais objet ou encore de l'identification et de la projection, les descriptions qu'elle a donnees des angoisses psychotiques de morcellement et de devoration, ses hypotheses sur la succession entre 6 mois et un an d'une position paranoide, d'une position schizoide, puis d'une position depressive, et enfin d'une phase de restauration reparatrice du Moi et de l'objet, l'accent qu 'elle a mis sur la recherche primaire du lien et sur le clivage precoce dissociant la libido de l'agressivite, ont servi de fils directeurs pour observer dans les groupes des phenomenes qui, faute de pouvoir etre conceptualises, n'avaient jamais ete encore reconnus. Il est alors apparu, que si l'imagо paternel et la problematique oedipienne jouaient bien un role decisif dans les organisations sociales, comme Freud l'avait justement mis en evidence, par con-tre, dans les groupes occasionnels et non-directifs de formation ou de psychotherapie, la regression conduisait les sujets a reexperimenter les angoisses de niveau psychotique et a vivre la situation groupale comme une menace de perte de l'identite personnelle.
Bion (1961) a montre par exemple qu'une reunion de travail fonctionnait a deux niveaux, celui des processus psychiques secondares (le "groupe de travail", centre sur la perception de la realite et sur une action rationnelle) et celui des processus psychiques primaires (qui prennent dans les groupes la forme denommee par cet auteur "presuppose de base"). Selon lui, il у aurait trois "presupposes de base": la dependance du groupe a l'animateur, au chef, ou a un leader, la dialectique attaque-fuite et la constitution d'un couple, generalement heterosexuel, par rapport auquel lereste du groupe est fascine, vit un grand espoir et se situe comme temoin. Ainsi les deux derniers "presupposes de base" correspondent respectivement a la pulsion agressive et a la pulsion sexuelle, tandis que le premier reproduit l'etat de detresse et de prematu-rite du nourrisson et sa demande d'amour et de soins a sa mere. Un groupe n'arrive pas a fonctionner comme groupe de travail, c'est-a-dire par une analyse rationnelle de la realite exterieure, tant que n'a pas ete elucide le "presuppose de base" sous-jacent. Deplus, chaque "presuppose debase" peut remplir un role de defense contre Г emergence d'un autre "presuppose de base."
Ezriel (1966), a partir de sa pratique des cures psychanalytiques en groupe, a mis l'accent sur le desir du patient d'y etablir, ici et maintenant, une relation d'objet particuliere avec le psychanalyste, relation qui peutetre defensivement deplaceesur un autre membre. S'il у a "resonance" (Par analogie avec le phenomene physique de resonance), entre les diverses representations imaginaires projetees sur le psychanalyste par les divers membres, une "tension commune au groupe", s'etablit. Ce que Lewin a appele la "dynamique" d'un groupe consiste, selon Ezriel, soit en l'instauration de cette tension qui servira de moteur aux activites collectives, soit dans le recours a des mecanismes de defenses collectifs visant a empecher une tension commune de s'etablir. Les interpretations du psychanalyste groupal portent uniquement sur la situation ici et le maintenant (alors que celles du psychanalyste individuel portent sur le passe du sujet) et visent le "denominateur commun de fantasmes inconscients des membres du groupe".
Elliott Jaques (1951, 1955), s'est specialise dans Tintervention psychanalytique au sein des organisations industrielles. Il a decouvert que les reglements, les codes, les institutions jouent la un role precieux de defense contre les deux types d'angoissearchaïque, l'angoisse persecutive et l'angoisse depressive. Ces memes angoisses sont responsables de l'evitement d'exercer l'autorite et des responsabilites par les personnes qui en sont investies. Plus la dimension d'un groupe est grande, par exemple quand on passe du "petit" groupe au groupe "large", plus ces deux types d'angoisse deviennent presentes et pesantes et plus il est difficile de s'en degager sans mise en place d'une organisation et d'un reglement.
Une ecole franchise de psychanalyse appliquee au groupe s'est developpee a partir de la. Pontalis (1963) a decrit, dans les situations de groupe non-directif, la lutte des participants pour imposer, chacun aux autres, leur propre representation ideale inconsciente de la vie, de l'organisation, du fonctionnement d'un groupe. Le groupe peut etre, comme les parents, comme le psychotherapeute, un objet d'investissement des pulsions et de projection des fantasmes individuels inconscients.
Moi-même (Anzieu, 1966), prenant pour modele le premier topique freu-dien (le conscient, le preconscient, l'inconscient et la censure), j'ai propose l'analogie du groupe et du reve. Les individus demandent au groupe une realisation imaginaire de leurs desirs refoules: d'ou la frequence, dans les groupes, des themes allegoriques de Paradis perdu, de reconquete d'un lieu saint, d'embarquement pour Cythere, en un mot de la Cite utopique. Correlativement, l'angoisse et les sentiments de culpabilite devant la transgression de l'interdit se trouvent intensifies. D'ou le silence paralysant si frequent dans les situations ou les participants sont invites a parler librement, sous-entendu: a parler de leurs desirs reprimes. Ceci m'a amene par la suite (Anzieu, 1971b) a denommer illusion groupale la recherche, dans les groupes, d'un etat fusionnel collectif; "on est bien ensemble", "nous sommes un bon groupe, avec un bon leader". A ce contenu manifeste correspond le contenu latent suivant: incorporation du sein comme bon objet partiel, participation de tous a l'ideal de toute-puissance narcissique projete sur le groupe-mere, defense hypomaniaque contre la crainte archaique de destruction des enfantsrivaux dans la matrice maternelle.
A. Bejarano (1971) a vu le retour de clivage precoce, decrit par Melanie Klein entre le bon et le mauvais objet, dans le clivage du transfert qui ne manque pas d'apparaitre a un moment ou a un autre dans les situations de petits groupes (8 a 12 personnes) et plus encore dans celles de groupes larges (30 a 60 personnes). Les sentiments positifs se concentrent dans l'illusion groupale. Les sentiments negatifs, clive des precedents, tendent a se cristalliser sur un individu particulier (leader, bouc-emissaire), sur un groupe ennemi ou sur la realite exterieure, par exemple sur la societe dans son ensemble.
A. Missenard (1971) a etudie le travail psychique qui s'effectue chez les membres d'un groupe de formation conduit psychanalytiquement. Ce travail psychique consiste en une perte, par le sujet, de ses identifications imaginaires anciennes, perte qu'il ressent comme une menace a son integrite psychique et qu'il vit dans la depression et la crainte de la decompensation. Parallelement s'effectue en lui, en relation aux autres membres du groupe, une reconstruction d'identificationssymboliques nouvelles qui lui rendent possible de nouvelles attitudes dans sa vie privee comme dans sa vie sociale.
La theorie psychanalytique des groupes elaboree ainsi en commun par D. Anzieu, A. Bejarano, R. Kaes et A. Missenard (1974) a ete condensee par eux en un article sous forme d'une trentaine de "theses".
Resume
La psychanalyse a etudie d'abord l'inconscient individuel, qui est "vertical", les conflitspsychiquesactuels d'un individu s'expliquant parson passe. Elle etudie maintenant l'inconscient groupal, qui est "horizontal" et qui consiste dans l'interaction, ici et maintenant, des representations imagi iaires et des affects des membres du groupe. L'explication psychanalytique considere les phenomanes observables dans les groupes (par exemple leadership, affini-tes entre les membres, difficultes de communication) comme des contenus manifestes qui derivent de contenus latents inconscients (desirs refoules, mecanismes de defense). Les processus inconscients dans les groupes s'organisent autour de trois poles: un pole nevrotique (ou oedipien), un pole narcissique, un pole psychotique. Freud lui-même a abandonne sa premiere theorie de l'appareii psychique, qu'il avait tiree du reve individuel, pour concevoir l'appareii psychique comme l'interiorisation de la vie de groupe precoce. de Г enfant. Les psychanalystes groupaux ont elabore des notions nouvelles: appareil psychique groupal, illusion groupable, fantasme de casse, etc.
Bibliographie
Anzieu, D.
1966. Etude psychanalytique des groupes reels. Les temps modernes, juil., n° 242, 56-73-
1971 a. De la methode psychanalytique et de ses regies dans les situations de groupe. Perspectives psychiatriques, n° 33, 5-14. Repris in Le groupe et l'inconscient.
1971 b. L'illusion groupale. Nouvelle revue de psychanalyse, n° 4, 73-93. Repris in Le groupe et l'inconscient.
1975 a. L'auto-analyse de Freud et la decouverte de la psychanalyse. P. U. F., 2 vol.
1975 b. Le groupe et l'inconscient, Dunod.
Anzieu, D., Bejarano, A., Kaes, R., Missenard, A.
1974. Theses sur le travail psychanalytique dans les groupes. Bulletin de psychologie, № special "Groupes: psychologie sociale clinique et psychanalyse", 16-32.
Anzieu, D., Bejarano, A., Kaes, R., Missenard, A., Pontalis, J. B.
1972. Le travail psychanalytique dans les groupes, Dunod.
Bejarano, A.
1971. Le clivage du transfert dans les groupes. Perspectives psychiatriques, n° 33, 15-22.
Bionav, R.
1961. Recherches sur les petits groupes. Trad, fr., PUF, 1965.
Ezriel, H.
1966. Le role du transfert dans le traitement psychanalytique de groupe., Trad. fr. in, Schneider P. B. (1968): Pratique de la psychotherapie de groupe, II, les techniques. Paris, P. U. F., Florence, Giunti.
Freud, S.
1912-13. Totem et tabou, Trad, fr., Payot, 1923.
1921. Psychologie collective et analyse du moi. Nouvelle trad. fr. in Essais de psychanalyse Payot, 1970.
Jaques, E.
1951. Intervention et changement dans l'entreprise, Trad, fr., Dunod, 1972
1955. Des systemes sociaux comme defenses contre I'anxiete depressive et l'anxiete de persecution. Trad fr. in LEVY A., Psychologie sociale, textes fondamentaux anglais et americains, ch. 35, Dunod, 1968.
Kaes, R.
1971. Processus et functions de l'ideologie dans les groupes. Perspectives psychiatriques, n° 33. 27-48. 1973. Aspects de la regression dans les groupes de travail: readolescense, perte de l'objet et travail de deuil. Perspectives psychiatriques, no 41, 43-65. 1976. L'appareil psychique groupal. Constructions du groupe. Dunod.
Kaes, R., Anzieu, D., Bejarano, A., Scaglia, H., Gori, R.
1975. Desir de former et formation du savoir. Dunod.
Kaes, R., Anzieu, D., Thomas, L. V., LE Guerinel, N.. Filloux, J.
1973. Fantasme et formation. Dunod.
Mathieu, M.
1973. Contribution а l'etude du transfert dans les groupes de formation, Perspectives psychiatrique, n° 41, 67-75.
Missenard, A.
1971. Depression et petit groupe, depresson en petit groupe, groupe deprime? Perspectives- psychiatriques, n° 33, 59-68.
Pontalis. J. B.
1963. Le petit groupe comme objet. Les temps modernes, n°211, 1057-69; reedite in Apres Fiend. Gallimard, 1968.