42. Бессознательное и миф: постоянство и метаморфозы Ж. Валабрега (Inconscient et Mythe. Permanence et Metamorphose. J. P. Valabrega)
42. Inconscient et Mythe. Permanence et Metamorphose. J. P. Valabrega
Universite de Paris, France
Tout impersonnel qu'il soit, l'inconscient ne s'en comporte pas moins comme un organisme vivant, toujours renaissant, inventif, sans cesse reta-blissant ou modifiant ses constructions et ses defenses. C'est la son paradoxe fondamental. Constant mais changeant, il est regi par un principe de metamorphose permanente ou, pour mieux dire encore, un principe permanent de metamorphose. Or c'est la ausi un caractereprimordial du mythe. Si bien que nous proposerons de remplacer la formule connue de l'inconscient - langage par une autre: "L'inconscient est construit et reconstructible comme un mythe".
Etant dûment precise que le mythe lui-même devient langage des l'instant ou se trouve quelqu'un - un recitant pour le raconter, c'est a dire le transmettre.
Il en va tout a fait de même, on le remarquera, pour le rêve. S'il est la Voie royale (Freud), voie vers l'inconscient s'entend, c'est parce que dans le recit qui le porte a notre connaissance, il est d'emblee constitue comme histoire mythique. Le rêve ouvre des guillemets sur l'ordre du mythe.
Faut-il le souligner une fois de plus; de toutes ces formules, aucune ne peut pretendre a etablir une relation d'identite saturee entre les termes ou predicats qu'elle met en rapport. L'inconscient n'est pas le mythe, au sens existentiel, pas davantage, qu'il n'est le langage. Le rêve n'est pas l'inconscient. Il faut renoncer definitivement - croyons-nous - a l'illusion d'atteindre des verites ontologiques, portant sur des substances, puisque nous n'operons jamais que sur des modalitees. Ou bien alors nous confondons, transformons la connaissance psychanalytique en une theologie. Beaucoup plus modestement en fait, par toutes sortes de formules qui, elles, sont incontestablement du langage, on tend a proposer des modeles ou analogons d'intelligibilite; a s'approcher d'un ordre, la ou il n'y a d'abord que chaos et, tant qu'a faire, a choisir comme analоgоn, le terme le plus exact, ou le moins inexact possible.
Dans ces conditions d'une ambition limitee, le rapprochement de l'inconscient avec le mythe, deja suggere nettement par la critique des categories portant sur la temporalite et l'intemporalite, se trouve indique tout autant, sinon davantage une seconde fois par le principe de metamorphose qui leur est egaiement commun. Saisissables d'une part Tun comme l'autre uniquement par des recits et des recitants occupant une place definie dans l'ordre temporel historique, successoral, mais pourtant echappant a cet ordre; regis d'autre part tous deux par la transmutation, l'avatar, la metamorphose-autant de caracteres, d'approches appartenant precisement en propre a l'ordre mythi-que: voila done en abrege deux raisons de grand poids a retenir en faveur de cette hypothese theorique.
Au passage cette maniere de voir peut f ournir une methode technique pour eviter de tomber dans les apories et paralogismes categoriaux, et de s'y perdre - analyste, analyse et Sujet confondus: il s'agit de determiner, de reconnaitre a tout moment ou commence l'ordre du mythe, de le traiter comme tel et non de l'assimiler-par exemple-a la "realite" historique. L'experience vient cependant montrer continuellement que dans son maniement et son interpretation, c'est la un precepte plus facile a declarer qu'a accomplir.
Tout mythe comporte une serie, une extension indefinie de variantes essaimees, disseminees dans le temps comme dans l'espace, reperables en chaque Sujet comme en chaque peuple a la seule condition de savoir les voir. On connait le parti tire de cette simple remarque par le dernier en date des grands mythologues - С. Levi-Strauss. Il a pu ainsi repertorier plusieurs centaines de variantes, versions, avatars, pour chacun des types - nommes par cet auteur "mythes de reference" - qu'il parvenait a isoler aux fins d'analyse.
En second lieu lorsqu'un mythe disparait, non seulement ce n'est pas sans laisser de traces, souvent meconnaissables d'ailleurs dans des pratiques rituelles par exemple, des croyances, des fragments erratiques paraissant depourvus de sens, toujours problematiques a retrouver, a reconstituer si ce n'est meme parfois insaisissables, mais encore lorsque sembles'imposer la notion d'une telle disparition - Levi-Strauss a pu parler a ce propos des mythes qui meurent (Cf. C. Levi-Strauss. Comment meurent les mythes (Anthropologic structurale, T. II, Paris, Plon E(1973, p. 301-15))-alors on peut constater qu'un autre mythe apparait toujours a la place du mythe disparu.
D'une part, on le voit, le mythe a une vie marquee par la metamorphose, et d'autre part il a une eternite. Non seulement les formes attenuees, edulco-rees, degradees, d'un mythe - dont Levi-Strauss pour sa part decouvre les temoins dans les legendes, le roman (A rapprocher de toute evidence du Familienroman, le roman familial (Freud)), ou la realite socio-politique elle-même: soit orientee vers l'explication historique, la legitimation, soit vers l'annonciation d'un futur; non seulement ces formes et vestiges ne sont point a rejeter au-dehors du соrpus mythique que Ton pourrait dire de base, fondamental, mais elles en font au contraire partie integrante: elles sont ces rejetоns d'une pareille et unique odyssee - du meme mot servant a Freud pour qualifier les prodiiits de l'inconscient - et, davantage encore, lesdits rejetons sont souvent, de prime abord, les seules extremites emergentes qui noussoient accessibles, saisissables, d'un mythe disparu et devenu latent.
La notion d'un engendrement perpetuel, d'une dialectique infinie entre naissance, mort et renaissance, est done probablement le mouvement le plus juste applicable a ce domaine dont on s'efforce par touches approximatives de donner des equivalences, et qui serait le substrat commun au mythe et a l'inconscient. De ce rapprochement, l'un et l'autre d'ailleurs ont a tirer le benefice d'un eclairement mutuel.
La permanence et la metamorphose, ces deux caracteres fondamentaux de-venus a peu pres evidents lorsqu'on les releve dans l'ordre mythique, permettent en retour de mieux concevoir-outre la nature du champ phenomenal tres etendu commun aux deux ordres - une autre donnee supplemental devant etre integree du reste a ce champ. On veut parler de nos attitudes a l'egard du mythe et vis-a-vis de l'inconscient, attitudes qui sont precisement aussi les memes.
Au regard de la raison, mythe et inconscient sont des absurdites. Exactement comme le reve, qui est la production intermediate la plus proche a la fois des deux.
D'ou la formule sur laquelle il nous est arrive souvent d'attirer l'attention: "J'ai fait un curieux reve". Cet exorde ne doit pas etre tenu pour une simple prise de souffle prealable a l'allocution, au flatus vocis, redondance, "bruit" mele de fagon purement mecanique, quasi physiologique au message principal. Il s'agit bel et bien de l'annonce universelle par ou lerecitant introduit lerecit qui va suivre. Si en d'autres termes on l'entend et l'interprete correctement, cette petite formule aussi peu ostensible qu'une virgule ajouteeou omise dans un texte, transcende enfait la total ite du sens de tel reve singulierement defini et recele une portee ontologique. Elle traduit l'attitude de tout Sujet en presence virtuelle du mythe et de l'inconscient, c'est a dire en face de l'absurde. Deja elle a pris le depart vers cette zone de l'insolite-familier designe par Freud comme Unheimliche (Cf. Freud. Das Unheimliche (1919). S. E. 17, 219).
Absurdites "a ne pas croire", comme on dit, et qui n'ont "d'ailleurs au-cune espece d'importance", cela s'entend aussi souvent en effet de la sorte, mais absurdites auxquelles cependant on ne peut s'empecher d'accorder un milligramme ou une seconde seulement de credit, ne seraitce que ab absurdo justement.
Un pas de plus et par metamorphose, par transformation du malgre en parce que, renversement du pour au contre et du contreaupour (Pascal), on en arrive au Credo quia absurdum: curieuse formule, elle aussi. Argument ultime et decisif tenu en reserve par Pascal - dirait-on - en faveur de Dieu.
Ainsi la pensee rationnelle, la recherche scientifique visent-elles en toute bonne foi a donner de l'univers une construction enfin pure d'ou le dernier mythe aurait ete definitivement ex pulse. Mais c'est faute de pouvoir admettre ce dont la rationalite meme est redevable au mythe et se partage avec lui, a savoir la poursuite de la verite derniere, cachee, originaire, bref la quete du Saint Graal. C'est faute de reconnaitre d'abord dans la passion theoricienne, epistemique, puis dans l'ideologie ensuite, autant d'elements de ces formes degradees declinantes certes mais deja annonciatrices aussi de la naissance d'une nouvelle variante - ou de la resurgence de quelque version antique - d'un mythe en lui-même intemporel.
Si Ton en use maintenant de facon homologue avec l'inconscient, l'alliance de la permanence etde la metamorphose, la prise en consideration de leurs effets combines, vont permettre de mieux expliquer Tun des caracteres les plus specifies en meme temps que des plus surprenants de ce systeme Ics. Il s'agit d'une difficulti premiere, preliminaire, constante, perpetuellement renouvelee au point qu'elle subsiste sans modification appreciable meme apres la revolution freudienne. Cette difficulte, on s'y heurte a chaque fois, elle s'oppose toujours et toujours elle est a vaincre pour parvenir, d'abord, a simplement penser l'inconscient; pour le saisir, le reconnaitre ensuite autre-ment que comme une abstraction pure, c'est a dire l'admettre en soi-meme. Or cette experience s'eprouve et se verifie pour tout le monde, tout Sujet, tout un chacun, у compris les psychanalystes lesquels, s'etant acquis le renom perilleux d'etre les experts de cette specialitela, n'en doivent desormais point dechoir.
On a done des raisons de faire un rapprochement entre cette difficulte tout a fait specifique, relevant d'une attitude constante et universelle, et d'autre part la notion d'en tropie, celle-ci etant consideree comme fonction integrate (au sens mathematique) destinee a rendre compte, par la theorie, des rapports complexes voire d'apparence contradictoires entre: conservation, transformations et degradation de l'energie.
Ici - dans notre domaine - il s'agit evidemment de la Widerstand, la resistance de l'inconscient, qui se manifeste bien elle aussi sous forme energetique, particulierement tangible dans les occurrences de l'agir; passage a l'acte, асting in ou асting out. Il faut aller-croyons-nous-jusqu'a la definir et la designer du nom d'Analyticoresistance, un concept plus biologique cette fois-ci que physico-mathematique. Mais ces deux langages, en ce cas, concourent a vrai dire aux memes fins. On у retrouve la contradiction, comme entre les principes de la thermodynamique; on у reconnait d'autre part certaines des proprietes fondamentales des organismes vivants: l'adaptation et la mutation.
L'inconscient est immuable, mais ses manifestations-notamment defensives - sont changeantes et adaptables.
On connait les difficultes extremes auxquelles nous nous heurtons pour admettre et faire admettre ces manifestations pourtant affleurantes ou meme, en bien des circonstance massives.
En ce point on peut s'aviser de relever la frequence d'usage de ce terme: diffiсulle, ou obstacle, dans toutes les tentatives analytiques descriptives faites pours'approcher decet ordre de l'inconscient; et celle que l'onvient de proposer est a inclure dans la serie. La difficulte en cause est a considerer comme un mode d'apparition de la resistance dans le repertoire de l'eprouve. Car la resistance, c'est avant tout quelque chose que Ton eprouve, c'est a dire un affect. Affect de resistance, ainsi va-t-on le designer a titre provisoire. Et il est etrange-et regrettable aussi-que la notion s'en soit peu a peu perdue, effilochee alors qu'elle a joue un role essentiel chez Freud, depuis sa theorie critique de l'hypnose, puis tout au long de ses descriptions des procedures de l'analyse, jusqu'a son concept de travail (et ne distingue-t-on pas, en physique egalement, entre travail mоteur ei travail resistant?), concept qui apparait a des etapes cruciales des investigations freudiennes: Travail du reve, travail du deuil, sans oublier bien entendu le travail de Interpretation, dans la Dure har be Hung la "transforation", qui s'exerce alors non plus au service de la resistance ou de sa reconstitution, mais dans la voie de son depassement.
Si bien qu'a cote des epreuves classiquement connues dans la theorie: epreuvede satisfaction, de realite, il serait indique de faire place a l'epreuve de resistance, de difficulte ou d'effort.
Il у a cependant sur ce sujet, anterieurement meme a l'analyse, tout un passe d'intuitions et de reflexions philosophiques - chez Maine de Biran, William James, Bergson - qui ne sont pas toutes sans valeur. Nul en outre n'en disconviendra: cette epreuve de resistance, de difficulte, d'effort energetique, nous la faisons pourtant souvent-trop souvent peut-être pour lui accorder encore de l'interet - qui sur son divan, qui dans son fauteuil.
De ce catalogue des resistances et difficultes dont toutes fort heureusement ne sont pas toujours des mises en echec, rappelons quelques-unes des plus decisives:
- Le phantasme inconscient, par exemple, doit la difficulte de sa notion et de son approche au fait qu'il en existe aussi une version consciente, a laquelle les analystes les plus avises ont souvent tendance a le ramener, dans leur pratique sinon dans la theorie. D'ou les discussions qui sont sans cesse a reprendre a ce propos. L'etude de Susan Isaacs sur le phantasme (S. Isaacs. The Nature and Function of Phantasy (1948). Int. J. Psa. XXIX, 73-97. Trad. fse. La Psychanalyse, V, PUF, 1959, 125-182), parmi d'autres, en donne un assez juste panorama.
- L'interpretation latentea son tour, ce veritable ressort cache de la Deutung c'est a dire du Sens, dont on a suffisament montre le caractere problematique, fragile et fugace, tient sa difficulte a ceci qu'elle intervient sur le trajet d'implication non pas d'un seul, mais de deux inconscients.
- De même enfin et pour les memes raisons le transfert-contretransfert auquel tout mouvement, progres ou au contraire stase de l'analyse reconduit ne varietur. La difficulte propre a la mise en oeuvre - et non pas en acte-qde l'intersection transfero-contretransferentielle reside dans la nature mutative de sa matiere constituante. Fluctuation materielle qui entre dans un alliage, un combinat avec la perennite de sa structure, et tend par suite a s'y dissimuler, s'y dissoudre, a persister surtout dans cette dissolution et dissimulation.
Sans doute aussi, dans le court rappel qui precede, retrouvons-nous simplement des donnees bien connues depuis longtemps, classiques et même - pour certaines d'entre elles du moins-banales. Elles en souffrent peut-être que d'une legere insuffisance dans leur systematisation. Mais parmi les idees refues, ces acquis de notre patrimoine se montrent usuels dans la majorite des cas en ordre epars, fragmentaire, disperse et, en fin de compte, sous-entendu.
Vient-on a les regrouper et a en pousser plus avant la theorie? Voila precisement l'objet de la tentative et comment elle procede- On retablit le contact entre transfert et contre-transfert, puis entre cet ensembleci et l'interpretation; cette derniere a son tour est remise en connexion avec la latence, laquelle se fraye la voie vers le phantasme inconscient; on rapproche encore l'inconscient du my the, duquel enfin on parvient a extraire l'ensemble "permanence-metamorphose": notions qui se confirment comme les deux grands principes irreductibles, organisateurs communs du regne mythique et de celui de l'inconscient. Alors, mais alors seulement, on embrasse d'un coup d'oeil un arrangement etage, une architectonie, et Ton decouvre des enchainements de consequences allant de la theorie la plus generate a la pratique la plus concrete, descendant le cours de cas "fleuves impassibles" () ainsi reconstitues jusqu'au bassin de reception d'ou ils surgissent.
Consequences sur la conception de la resistance de l'inconscient, ou analytic oresistance selon la denomination que Ton a recommandee: Mettre cette resistance entierement du cote de l'analyste-comme certaine tendance moderne a pu le suggerer (non sans une coloration hypocrite et demagogique a laquelle il ne faut accorder aucune indulgence) c'est se fourvoyer dans une inexactitude aussi totale que de rejeter la resistance sur le seul patient, comme on etait porte a le faire autrefois. Dans les deux cas en effet, on reste prisonnier d'une alternative dualiste dont il faudrait precisement s'affranchir.
Or une theorie de la resistance n'a aucune utilite si elle ne permet pas de surmonter les situations de duo ou de duel, derivees de ce que Ton appelle trop abstraitement et discretement les aspects positif et negatif du transfert, alors qu'il s'agit en fait de situations de force impetueuses voire explosives, tendant a occuper tout le champ analytique, a l'envahir et l'annexer comme un territoire conquis, soit sous la forme de transfert amoureux, soit d'affrontement paranoide, auxquels, vient repondre en echo-et non moins transfere dans sa nature-un contre-chant de meme sens ou bien de signe contraire.
Toute theorie de l'analytico-resistance qui ne rendrait pas compte de ces donnees essentielles ou seulement les maintiendrait dans les enclaves du tacite, de rimplicite, du latent ou du sous-entendu n'aurait evidemment plus d'analytique que le mot vide de sens; elle serait un simple verbiage.
D'ou une seconde serie de consequences, sur le transfert-contre-transfert d'abord, sur le probleme deja evoque des "ordres prioritaires" ensuite, un corollaire implicite du premier et-comme on l'а vu-condamne a rester un faux probleme, un casse - tête aporetique aussi longtemps qu'une remise en place et en perspective de ces diverses notions n'a pas ete faite.
Par les chemins parcourus jusqu'ici, on aura saisi les liens structuraux qui existent entre le transfert - contre-transfert et ranalytico-resistance. Il est impossible de les traiter separement ou meme de les maintenir a faible distance. L'un et l'autre representent des modalites d'une meme propriete intrinseque de l'inconscient, nommement, la latence.
- L'analytico-resistance en est l'un des aspects descriptifs et-idealement-metapsychologique (topico-dynamico-economique), c'est a dire appelant des reponses a la triple question: Ou est la resistance et d'oil vient-elle? Comment procede-t-elle? Quelle est enfin l'evaluation approchee et relative de sa force?
- Le transfert - contre-transfert, lui, represente la version indicatrice d'une certaine place du Sujet. Ou plutot il faudrait dire ici d'une "place-sujet". Car l'assignation recherchee, indiquee il est vrai, n'en est pas moins fuyante et meme generalement trompeuse. Il s'agit, ne l'oublions pas, du Sujet inconscient: Sujet dans l'inconscient et Sujet de l'inconscience. Par une nouvelle approximation on pourrait lui essayer le concept d'Inconscient-Sujet. Eh bien, ce Sujet-la, non seulement il n'est a aucun titre une substance: on a reconnu et admisceladelongue date; mais, plus encore, il faut le decrire, dans sa totalite, comme integralement identique a sa determination positionnelle. Si bien que selon la perspective maintenant adoptee, les notions de Sujet et de Statut - dans l'expression "statut du sujet" par exemple - sont une seule et meme chose, un pleonasme. De par l'indexation transfero - contre-transferentielle, le Sujet - l'Inconscient - Sujet - est une position et rien qu'une position.
- Quant aux "ordres prioritaires", aux privileges, tout n'a pas ete dit sur cette question si tant est qu'il soit possible de l'epuiser. En temoigne le nombre surprenant de synonymes, tout prets a ouvrir constamment la sollicitation d'y retomber: suprematie, superiorite, precedence, precession, prevalence, preponderance, preeminence, primaute, primat, etc... Cette sura-bondance doit bien tenir quelque chose de son sens du trop-plein verbal lui-même. C'est le cas en effet. Toute cette collection plethorique de semblables offerte a l'option hierarchique, au choix, concerne peu ou prou-et le plus souvent beaucoup-un contenu latent du transfert - contre-transfert; notamment de la theorie voire de l'ideologie de l'analyste, dont celui-ci dispose statutairement, positionnellement, dans l'exercice de l'interpretation. Dissimule de maniere elective dans l'interpretation dite pour ce motif latente ce contenu releve en consequence du point de vue epistemologique, pour pos-sibilite de son apprehension. Inversement la meconnaissance de ce point de vue - soit ignorance, soit oubli, soit pretention - entraine la constitution d'une zone scotomisee qui apparait ainsi dans la dependance directe, bien que tacite, des options prioritaires elles-mêmes.
Est-ce a dire que le processus d'une analyse, le mouvement de l'analyse en general et celui-homologue-de la construction theorique, ne devraient idealement jamais conduire a aucun choix, a aucune taxinomie ni axiologie? Certainement pas. Ce serait pousser a l'absurde le point de vue criticiste epistemologique au lieu de le mettre en application. Ce serait s'enferrer une nouvelle fois sur un nouveau sophisme, et, au lieu d'inclure le choix dans l'analyse l'en expulser sans voir que l'expulsion du choix est aussi-tout comme le refoulement ou l'oubli-une maniere de choix latent de l'expulsion.
On n'aurait done garde de choisir, pour modele d'achevement analytique, le sophisme obsessionnel, la belle indifference hysterique ou la denegation! En revanche on sera fonde a avancer - ceci valant pour la clinique comme pour la theorie - que la sophistique, les allegations d'indifference ou de desaveu, que les choix eux-mêmes, soit en acte, soit en interpretation, doivent entrer de plein droit dans l'analyse, sous peine de vider celle-ci d'une part essentielle de sa matiere et de son sens.
La encore ce sont les rapprochements avec le mythe et les donnees extraites de son etude anthropo-analytique qui paraissent les plus propres a lever nombre de ces impasses et apories. Notamment celles-typiquement elepates-qui sont construites a partir du temps et de l'instant, du mouvement et de l'immobile, et les enferment dans la figure du cercle: a la fois image de la perfection divine et trace de la boucle du destin. Alors qu'en fait, aux regards ici paralleles de la psychanalyse comme de la philosophie et de la mythologie, a la source de la temporalite ne se trouve nullement un probleme de geometric ou de physique, mais une meditation metaphysique universelle sur des themes non point univoques mais allant par polarites opposees au coeur desquel-les se tient l'experience psychique de la contradiction et de l'ecartelement: corps et ame; perissable et immortel; un et multiple; meme et autre; temps et eternite. Il s'agit done d'un probleme d'angoisse. Et comme e'en est egalement une cause majeure, cela ne simplifie pas les choses de l'analyseni de la vie.
Esperons avoir reussi a rendre clairs quelques-uns au moins des caracte-res generaux les plus importants du mythe: que ce soit sous la forme de re-cits proprements dits, relativement bien delimiters et purs, ou de surgeons loin-tains diffus ou degrades, a l'etat de traces, il ne saurait etre question, a l'interieur de l'univers mythique tout entier, d'etablir un ordre de presean-ce, de priorite ni meme simplement de succession chronologique. C'est d'ailleurs en cela que le mythe differe profondement de l'histoire-certes, mais aussi de la legende, celle-ci etant une sous-espece intermediaire-même s'il arrive a la mythologie de faire a la chronique, au calendrier, des emprunts allusifs, allegoriques et pour ainsi dire apocryphes, et si se produisent en retour, sur les frontieres du mythe et de l'histoire, des processus complexes et subtils d'echanges souterrains, d'infiltrations, d'annexions, d'incorporation et d'englobement.
Puisqu'un mythe renvoie toujours a un autre mythe, il n'est jamais qu'unevariante jalonnant unechaineininterrompue. Fait pour traiter de l'origine et en donner une explication, il n'a lui-meme aucune origine assignable. En outre il requiert un type tres particulier d'adhesion. On у croit sans y croire tout a fait. L'attitude de la conscience mythique est celle d'une certitude ambigue, melangee, attenuee. Il s'agit d'une semi, quasi ou subconscience-disons le mot: d'un preconscient, laissant une place importante a la perplexi-te, a la meditation suspensive, au silence, bref au mystere. Le mythe est, essentiellement, un objet de mystere. Le mythe est un myste-a-t-on deja dit dont la fonction principale sinon la seule est d'etre recueilli, puis retransmis, avec pour unique et auto-justification cette transmission elle-meme, cause de sa propre cause, causa sui. "C'est ainsi parce que ca toujours ete comme ca". Parce que le pere a ete le fils du grand-pere, qui l'etait de l'a'ieul, qui l'etait de l'ancetre, et encore ainsi sans fin, et parce que le fils deviendra pere a son tour. Voila la parole mythique elementaire: celle d'un auto-engendrement. Le mythe nous entoure et nous impregne comme l'air que Ton respire. Il est de cette nature gazeuse, impalpable, atmospherique, et n'admet done pas plus d'explication que l'atmosphere n'en peut recevoir.
Enfin, un mythe ou bien la pratique qui s'y fonde et l'atteste-a savoir le rituel-a toujours quelque part sa version contradictoire; version qui est done en fait une inversion, un envers. Et cet envers par consequent est, non pas exceptionnel, mais immanent a l'ordre mythique comme tel.
Examine encore sous une autre de ses faces, le mythe se montre etroite-ment apparente au phantasme. Il n'est pas possible la non plus de les concevoir et de les traiter isolement, bien qu'ils ne soient cependant ni identiques, ni assimilables, ni reductibles, et qu'il existe des lois regissant les passages, circuits et transformations de l'un a l'autre.
Mythe et Phantasme sont neanmoins de meme nature en tant que representants. Dans cette voie on rencontre les fameux et problematiques Vorstellungsreprasentanzen de Freud; il veut dire: doublement, deux fois representants. On pourrait suggerer, faisant une image, de les traduire en envoyes speciaux de l'inconscient pulsionnel.
Suivant les positions respectives du mythe et du phantasme, seules la censure et la defense n'y occupent pas la meme place - on sait qu'elles sont mobiles dans la "representation" topique et fonctionnelle de "l'appareil de Fame" ni ne sont porteuses de la meme charge d'investissement (cathexis"). Ces variations positionnelles et energetiques peuvent, jusqu'a uncertain point de symetrie, etre comparees a ce que Ton observe dans la formation du reve d'un cote, et de l'autre du delire.
Dans toutes ces productions en effet: phantasme et mythe, reve et delire, on retrouve nos deux grands principes. La permanence de leur theme central, nucleaireoustructural, associee a la metamorhose des representations traductrices de ce theme, non moins que des о bjets auxquels theme et representations reunis s'adressent et se fixent.
Ainsi done, une fois reconnue aux elements de representation constitutes du phantasme, la propriete d'etre transferables apparait comme l'еxact correlatif du transformisme qui, dans l'ordre mythique, organise chacune de ses unites materielles (parfois appelees "mythemes") en thematiques, variantes, derivees directes ou inversees, dessinant une suite dont les hiatus ne sont que des apparences; en fait il s'agit d'un enchainement sans fin ni commencement, sans frontieres, d'un continuum transmigrates et transculturel. Rien d'etonnant des lors si, dans le transfert-contre-transfertce concept unitaire etant precisement construit sous la necessite de rendre compte de tels traits hautement specifiques - se retrouvent a l'oeuvre les memes principes organisateurs et les memes infrastructures, pour regir tantot ici Tordre eprouve comme "endopsychique" du phantasme, et tantot ailleurs celui du mythe qui est par definition un ordre des lointains. Autrement dit cette approche vise a definir un univers phantasmo-mythique.
Or une description theorique de ce monde ne peut etre complete et adequate que si elle parvient a un systeme conceptuel capable de transcender l'орposition de l'exterieur et de l'interieur. Que si par exemple, pour prendre les cas extremes, elle s'avere applicable a un phantasme quelconque venu "du dehors" aussi exactement qu'a un mythe quelconque construit "du dedans".
Resume
Par opposition a l'une des dernieres theories de l'inconscient: celle de l'Inconscient-langage, il est propose de rapprocher inconscient et mythe. En precisant que tout formulaire de l'inconscient ne peut jamais etre qu'un analogon.
Ce sont: a) la dualite categorielle temporalite-intemporalite; b) les precipes combines de permanence et de metamorphose, qui conduisent a cette these. lis s'appliquent strictement aux deux ordres considered et paraissenf les determiner.
Le destin des mythes et mythologies qui ne disparaissent que pour re-naitre; les attitudes communes face au mythe et a l'inconscient, a l'absurde; la resistance (Widerstand) sont etudies dans cette perspective.
Application en est faite aux concepts de Phantasme inconscient; d'interpretation latenteetde transfert-contre-transiert. D'oii une possibilite d'aboutir a une systematisation generate de ces concepts fondamentaux de la theorie comme de la pratique psychanalytique.
Enfin le Sujet (Inconscient-Sujet) se definit alors comme co-extensif a sa determination positionnelle. Cette position est a concevoir comme phantasmo-mythique dans son essence.