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137. Поиск бессознательного в античной литературе. Проблемы метода. Д. Гуревин (137. La recherche de l'inconscient dans la litterature antique Problemes de methode. Danielle Gourevitch)

Universite de Paris X, Frarce

Nul n'ignore que Freud a cherche dans la litterature antique et dans la mythologie classique les prototypes des situations conflictuelles inconscientes qu'il decouvrait dans sa societe. Ses pages de commentaire sur Оedipe - Roi (Standard Edition, IV, p. 261-264) ont fait date (Cf. Garfield Tourney, "Freud and the Greeks, a study of the influence of classical Greek mythology and philosophy upon the development of Freudian thought", in Journal of the history of the behavioral sciences, 1, 1965, p. 67-85; et Didier Anzieu, "Freud et la mythologie", in Nouvelle Revue de psychanalyse,. 1, 1970, p. 114-145). Apres lui les psychanalystes s'interesserent de plus en plus aux etudes classiques et en particulier a la mythologie. De leur cote les philologues furent epouvantes par ces notions nouvelles et ce vocabulaire nouveau qui envahissaient leur domaine; contre ceux d'entre eux qui les premiers oserent employer ce nouveau moyen d'approche, ce fut une levee de boucliers: contre J. Frazer et son celebre Golden Bough, qui osait introduire la barbare notion de tabou dans la decilate religion grecque, contre E. R. Dodds qui, cessant de voir en les Grecs des etres de pure raison, publiait en 1951 a Berkeley et Los Angeles The Greeks and the irrational. Depuis, l'interêt de ces nouvelles methodes s'est evidemment impose, mais les formations tout a fait heterogenes des analystes et des philologues font que les contacts sont souvent difficiles, et que les travaux des uns sont, deliberement ou accidentellement, ignores par les autres. La mise au point d'un travail de bibliographie sur l'inconscient et l'antiquite exige le depouillement de deux index, le Grinstein Index (que nous avons complete paries fiches de l'lnstitut frangais de psychanalyse) pour la psychanalyse, et l'Annee philologique, bibliographie de l'antiquite classique. En 1972, dans la revue americaine d'etudes classiques, The Classical world, un premier travail bibliographique avait pu couvrir (avec 65 titres) toute la litterature analytique concernant les auteurs grecs et latins: "Psychoanalytic writings on Greek and Latin authors, 1911-1960, p. 129-145. L'auteur, Justin Glenn, avait choisi ces dales parce que c'est en 1911 qu'etait paru le premier article analytique consaere exclusivement a un auteur de l'antiquite (Karl Abraham, "Еine Traumanalyse bei Ovid", in Zentra1b1att fur Psychoanalyse und Psychotherapie, 2, 1911, p. 159-160), et 1960 parce que la s'arretait l`Index of psychoanalytic writings d'Alexander Grinstein. Depuis, l'interet pour l'inconscient dans le monde grec et romain s'est tellement accru qu'il n'est pas question d'en faire ici une revue exhaustive. Mais nous avons choisi deux auteurs grecs, le tragique Euripide (Verne s. av. J. C.) et le rheteur Aelius Aristide (Il eme s. de notreere), le premier permettant d'aborder le probleme de l'inconscient des creatures litteraires, le second celui de l'inconscient des createurs, puisque c'est le journal de sa maladie que nous examinerons. En outre ce choix a l'avantage de nous mettre dans deux situations differentes: l'interet pour l'inconscient chez Euripide est recent, les articles le concernant temoignent tous d'une ecoute post-freudienne de l'inconscient, et c'est une methode synchronique qui doit etre adoptee, d'ou notre classement par tragedies. D'Aelius Aristide par contre, on a depuis longtemps reconnu le caractere bizarre des manifestations somatiques: c'est done une methode diachronique qui s'impose, allant de l'attitude pre - a l'attitude post-freudienne, nous faisant remonter jusqu'a Galien, son contemporain. Nous pouvons observer ainsi qu'interet pour l'inconscient ne signifie pas forcement psychanalyse.

I. L'inconscient dans les tragedies d'Euripide

Nous esperons cette bibliographie complete, mais il n'est pas question d'examiner ' chaque titre dans le detail. A. Travaux generaux: E. R. Dodds, "Euripides the irrationalist", in Classical Review, 43, 1929, p. 97-104; N. Mc. Conaghy, "Drama and psychiatry, some insights of Euripides", in Australian and New Zealand Journal of Psychiatry, 4, 1970, p. 109-112.

B. Les Bacchantes: S. Bezdechi, "Das psycho pathische Substrat des Bacchantinnen Euripides", in Subhoffs Archiv fur Geschichte der Medizin, 25, 1932, p. 279-306; E. R. Dodds, "Maenadism in the Bacchae" in Harvard Theological Review, 33, 1940, p. 155-176, repris avec quelques retouches comme Appendix I de son livre deja cite; ainsi que son edition des Bacchae, ed. with an introduction and commentary, Oxford, 1960. Etude litteraire, artistique et surtout historique des phenomenes orgiaques en general; ceux-ci sont consideres classiquement comme des scenes d'hysterie collective: "by canalizing such hysteria in an organized rite once in two years, the Dionysiac cult kept it within bounds and gave it a relatively harmless outlet" (p. 159); S. Musitelli, " Rif1essi di teorie mediche nelle Bacchanti di Euripide", in Diоniso, 42, 1968, p. 93-114. Si on etudie de pres la peinture que trace l'auteur du delire des Menades, on s'apercoit qu'il a ete le temoin oculaire de certaines "crises" (epilepsie et hysterie n'etant pas encore distinguees). L'auteur remarque en particulier les phenomenes de contagion du del ire qui s'etablissent entre les Menades, et considere que le culte canalise les crises pour les socialiser, ce sur quoi tout le monde est maintenant d'accord; G. Devereux, "The psychotherapy scene in Euripides Bacchae" in Journal of Hellenic Studies, 90, 1970, p. 35-48. Euripide a probablement vu en Macedoine, autour de l'oracle de Trophonios, de veritables psychotherapies,definies comme "insight-and-recall methodsof treatment", a une date ou les medecins grecs n'en pratiquaient pas. On sait qu'au cours de sa possession menadique, Agave a tue, et probablement devore en partie, son fils Penthee. Lorsqu'on la voit apparaitre sur la scene, elle est encore dans un certain etat d'excitation, mais surtout elle manifeste une amnesie partielle des evenements recents: c'est ce qui just if ie la psychotherapie entreprise par son pere, Cadmos. Dans une certaine mesure, Agave prefere rester folle et ne pas savoir ce qui s'est passe. C'est ainsi que pendant un certain temps elle exige des autres Menades qu'elles disent, comme elle, qu'elle porte dans ses bras une tete d'animal, alors qu'il s'agit de celle de son fils. Aux efforts paternels, elle oppose une certaine distance: il faut entendre par distance ce qui sToppose a la prise de conscience par l`interesse lui-même d'une realite presente dans son inconscient. Cadmos cependant reussit progressivement a la faire revenir a la realite: il lui fait d'abord remarquer des details sans rapport avec son drame, comme le beau ciel ensoleille, puis, sans jamais raconter lui-même, mais en posant des questions, il l'oblige a reconnaitre ce qu'elle a fait, et comment. La derniere etаре consiste a lui faire faire l'aveu de sa folie, ce qui la debarrasse de toute culpabilite. La psychotherapie est achevee: Аgаve n'est plus malade, mais elle est brisee.

С. Les Herас1ides: G. Devereux, "The psychosomatic miracle of Iоlаоs, a hypothesis", in La Parola del Passat o, 1970, p. 167 - 195. Neveu d'Heracles, Iolaos est presente comme malade plutot que vieux: il souffre tres vivement des genoux, il n'est pas тёте capable de monter seul sur son char, il est faible et dёprimё. Quel est done ce "rajeunissement" qui va, au cours de la piece, lui permettre de reprendre le combat? C'est la qu'un episode tres impressionnant, probablement quelque chose qu'Euripide a personnellement observeet qu'il utilise pour fabriquer un "miracle" qui soit convaincant a coup sur. En effet, estime Devereux, Iolaos souffre d'arthriterhumatoi'de psychosomatique, affection dont les implications psychologiques sont même soupconnees par le poete, puisqu'il fait dire a son heros que c'est le chagrin qui le rend malade. Le "rajeunis-sement" est une de ces Emissions spontanees et tres provisoires qui peuvent survenir dans certaines circonstances dramatiques. Tout le caractere d'lolaos et sa biographie correspondent a ce qu'on sait du malade qui souffre de cette maladie: habituellement il a des relations difficiles ou nulles avec ses parents; or Iolaos s'est detache de son pere pour s'attacher au faux jumeau de celui-ci, Oracles Le patient est tres dёpendant, mais le cache sous une forte agressivite: or Iolaos est un bagarreur, et a besoin de la protection de son oncle. Lorsque celui-ci meurt, il se cherche un autre protecteur et pleure. Le patient canalise son agressivite par la pratique des sports: or Iolaos est un celebre conducteur de char. Tant qu'il regoit d'Heracles la permission d'exprimer son agressivite dans les combats choisis par lui, tout va bien, laisse a luimeme, il ecrase son agressivite ou plus exactement ses muscles, et tombe malade: il reste ainsi un heros, mais un heros qu'on plaint. Apres le sacrifice de Macaria, fille de Dejanire et d'Heracles, et l'arrivee d'un nouveau chef, Hyllos, frere de la jeune fille, sa depression et sa fatigue s'evanouissent: il se sent autorise a combattre de nouveau. Certes, 1 'idee d'une remission succedant a une poussee chez un malade atteint d'arthrite rhumato'ide est fort seduisante; par contre notre critique portera sur la question du terrain psychologique. Existe-t-il une personnalite psychosomatique propre aux malades atteints de cette affection? Oui, repondent les auteurs de langue frangaise, dont les travaux semblent appuyer celui de Devereux (R. Dubois, "Aspects psychosomatiques de l'arthrite rhumatismale", in Praxis (Suisse), 8 juin 1971, 60, n° 23, p. 747 - 751; et J. P. Obadia, "Мaladie rhumatoide et psychosomatique", in Revue frangaise de psychanalyse, juillet-aoiit 1975, 39, n° 4, p. 619 - 625); mais les travaux anglo-americains, plus systematiquement statistiques, semblent conclure, a l'inverse, qu'il n'existe pas de profil psychologique determine qui puisse predisposer a la polyarthrite rhumato'ide (S. Meirowitz, "Investigation of psychos, variables in rheumatoid arthritis, dans Hill, Modern trends in rheumatology, Londres, 1971, vol. 2, p. 92 - 105).

D. Hippolyte, avec ses deux heros, Phedre et Hippolyte, a, en ce domaine de la psychologie des profondeurs, provoque la bibliographie la plus abondante. E. R. Dodds, "Тhe αιδως; of Phaedra and the meaning of the Hippolytus", in Classical Review 39, 1925, p. 102 - 104: les deux heros ont des probiemes sexuels, qu'ils resolvent fort mal l'une en s'appuyant sur une fausse conception de la pudeur, αιδως; l'autre sur une fausse conception de la sagesse moderee, σωφροσυνη Dans cette analyse de deux situations conflictuelles imbriquees, l'auteur est gene (ou du moins le lecteur) par l'extreme confusion du vocabulaire: repressed, suppressed, submerged, sont employes indifferemment. Or ce sont des mots specialises dans des sens precis: t о repress, refouler; to suppress, reprimer. C'est Phedre, qui, consciente de son desir, le reprime ou du moins s'y emploie; Hippolyte, lui, a inconsciemment refoule ses pulsions sexuelles et est "chaste". A. Bonnard, "L'Hippolyte d'Euripide et le drame de la passion refoulee", in Bulletin de la societe des etudes de lettre s, Lausanne, 1944; G. Devereux, "Тhe Enetian horses of Hippolytos", in L'Antiquite classique, 33, 1964, p. 375 - 383. Ici l'auteur s'interesse essentiellement a l'origine geographique des chevaux du jeune homme, mais remarque en passant que, devot d'Artemis chaste et amateur de chevaux, il repete la situation qui etait celle de l'amazone Hippolyte, sa mere, avant qu'elle ne cede a Thesee. Ammon Issarharoff, "Hippolytus as an alternative to Oedipus, a study in triangular relationship", in Psychotherapy and Psychosomatics, 15, 1967, p 32. C'est la le compte-rendu d'une communication au 7eme congres international de psychotherapie a Wiesbaden en 1967: Hippolyte repousse l'amour de sa belle-mere et est tue par son pere, drame qui est exactement а l`oppose de celui d'Oe- dipe. On peut ainsi parler de complexe d'Hippolyte: rejet de la femme, soumission a l'homme, impuissance dans tous les actes de la vie. A. V. Ran-kin, "Euripides' Hippolytus", in American Imago 25, 1968, p. 333 - 346; Eugene W. Bushala, "Συζυγιαι χαριτες" in Transactions of the American philological association, 100, 1969, p. 23 - 29; G. J. Fitzgerald, "Misconception, hypocrisy and the structure of Euripides' Hippolytus", in Ramus, 2, 1973, p. 20 - 40; Jackie Pigeaud, "Euripide et la connaissance de so i, quelques reflexions sur Hippolyte 73 - 82 et 373 - 430", in Les Etudes classiques, 44(1) 1976, p. 3 - 24. Dans le premier groupe de vers, c'est Hippolyte qui parle, d'une prairie sans tache, de Pudeur qui у jardine, du fer qui n'y a jamais passe. A une premiere lecture, on voit la une image adorable de la vie en plein air. Mais ce n'est un secret pour personne qu'en grec (surtout en poesie). λειμων represente aussi souvent le sexe fёminin que la prairie. Dans cette prairie done, ni berger ni troupeau mais des abeilles: or la science de l`epoque veut que l'abeille soit chaste, se reproduise sans sexualite, et n'ait aucune participation a la fabrication du miel, qu'elle recueille seulement tel qu'il tombe de l'air. Le jardinage qu'y pratique (verbe) χηπευει la Pudeur s'oppose a l'agriculture: il a la sterilite et la frivolite des jardins d'Adonis, elle n'hesite pas a entamer le sol, a l'ensemencer, a transformer la nature. Ainsi Hippolyte est une nature pauvre, qui refuse la sexualite, qui ne fera pas de progres et ne se connaitra jamais soimeme. Phedre au contraire accepte et recherche les bouleversements profonds de l'amour, tels qu'une femme peut les analyser au cours de son histoire: elle obtiendra la vraie connaissance de soi. L'auteur est un philologue, voire un philosophe, dont la penetration pourrait sans doute aller plus loin s'il ne tenait absolument a "eviter un type d'interp^tation psychanalytique": on se demande pourquoi et on le regrette.

E. Iphigenie en Tauride. Iphigenie a Aulis: Andre Green, Un oeil en tro p. Le complexe d'O edipe dans la tragedie, Paris, 1969, 288 p. Le chapitre III, Iphigenie en Aulide, L'economie du sacrifice, p. 165 - 281, rapproche les deux pieces d'Euripide, et l'Iphigenie en Aulide de Racine. II examine egalement Les Bacchantes, s'attachant, entre autres personnages, а Penthee chez qui le desirde voir des choses dёfendues est en realite celui d'assister a l'activite sexuelle de sa mere, voire de pratiquer l'inceste; l'inceste entraine la mort, et cette mort est une castration pour le grand-pere. Les trois Iphigёnie mettent en scene la face negative du complexe d'Oedipe, rapprochant le mariage et le sacrifice: faut-il les considerer comme ёquivalents ou comme opposes? Qu' Agamemnon accorde a sa fille la connaissance des mysteres religieux ou des mysteres sexuels, de toute fagon il la perd, et ressent cette perte comme le commencement de sa propre mort. Chez Euripide, il у aura effectivement execution d'Iphigenie: ce libericide est 1'expression du pouvoir paternel, mais ce pouvoir est lui-même soumis a la Loi, c'est une mutilation, c'est une castration. Du cote de la fille, il уa culpabilite devant l'amour interdit; mais la blessure infligee par le pere est aussi la marque d'une рreference. Elle dёsire le desir du pere; mais la mort de l'objet du dёsir (sa propre mort) est donnёe par le dёsirant (le pere). Relevons enfin l'interpretation du recit du reve de la chute de la maison d'Agamemnon, dans Iphigёnie en Tauride, qui ne peut s'interpreter que comme reve de la scene primitive. Ce livre est essentiel.

F.Medee: Shelley Orgel et Leonard L. Shengold, "The fatal gifts of Medea", communication au 25 eme congres international de psychanalyse, juillet 1967, a Copenhague, publie dans The International Journal of Psychoanalуsis, 49, 1968, p. 379 - 383, avec commentaire de P. C. Kuiper p. 383 - 385. Les auteurs ayant soigne deux patientes (parmi d'autres) ne supportant plus les cadeaux empoisonnes de leur mere, rapprochent leur situation de celle des beneficiaires des cadeaux de Medee. Celle-ci, avant le lever du rideau, a deja tue son frere et le gёant Talos, gardien de la Crete; elle a provoquё la mort de Pelias; c'est une nature violente qui a donne les preuves de sa mechancete. Or elle ne supporte pas les situations d'abandon: dans de telles circonstances, elle fait un mauvais cadeau, elle utilise pour le mal sa puissance magique qu'elle sait aussi utiliser pour le bien. Sachant que Glauce, la nouvelle epouse de Jason, ne resistera pas a la tentation d'essayer des cadeaux vestimentaires, elle la fait mourir atrocement. Quant aux fils qu'elle a eus de Jason elle prefere les tuer plutot qui de leur laisser une existence autonome. Et le commentateur conclut en soulignant que la nature mauvaise de la sorciere ne se manifeste que dans des situations de separation, bref qu'il s'agit d'un complexe de castration.

G. Оreste: Hugh Parry, "Euripides' Orestes. The quest for salvation", in Transactions of the American Philological Association, 100. 1969, p. 337 - 353: dans cette piece, s'opposent le monde de la raison et le monde de la folie, Oreste est malade, il souffre de la grande maladie caracteristique de la nature humaine; il ne sait pas distinguer l'apparence de la realite. Plus qu'Electre, plus que Pylade, il va d'esperance en desespoir, d'illusion en dёsillusion, d'erreur en erreur. II ne sait pas exactement ce qu'il fait ou a fait: il est fou, et pour lui il n'y a pas de salut.

II. L'inconscient d'Aelius Aristide

Soigne par le dieu guёrisseur Asclepios, l'Esculape des Romains, au cours d'une maladie qui dura treize ans, le rheteur tint un compte relativement precis de ses maux et des conseils divins des six Discours Sасres, sorte d'ex-voto de remerciement a la divinite (ed. Bruno Keil, Aelii Aristidis Smyrnei quae supersunt omnia, vol. II orationnes XVII - LIII continens, Berlin, 1898, ou Edition anastatique, - 1958: les Discours Sacres portent les numeros XLVII a LI I. Trad. C. A.Behr, Aelius Aristidesand the Sacred Tales, Hakkert Amsterdam, 1968 . or Galien, son contemporain plus jeune, avait ete frappe par uneespece de discordance entre l'ameet le corps de cet intarissable bavard: opposant les gens a l'âme faible et au corps fort, aux gens au corps faible et al'ame forte et c'est dans cette deuxieme categorie qu'il place Aelius Aristide (In Platonis Timaeum соmm. fragm., ed. H. C. Schroder, Corpus medicorum Graecorum, Suppl. I, 1934, p. 1-35, Appendix Arabiсa par P. Kahle); en d'autres termes, Aristide, loin d'etre un malade psychosomatique, est un organique pur et, si son psychisme inter vient, c'est pour resister a la maladie. L'espece de fausse note qui se fait entendre quand on rapproche son etat somatique et son caractere, est interpreted comme force d'âme.

A l'extreme fin du XVIII eme s., quand renait l'interet pour le rheteur, Vincenzo xMalacarge, alors professeur de chirurgie a Padoue, est au contraire exaspere par les plaintes perpctuelles du malade et l'interet exclusif qu 'il porte a sa personne (La malattia tredecennale di Elio Aristide, Milan, 1799). Pour lui Aristide souffre certainement de troubles humoraux, dans la pure tradition galenique, mais surtout c'est un homme dont la valeur morale est nulle. Refusant absolument de donner un contenu psychiatrique aux mots d'hypocondrie, d'hysterie, d' affection nerveuse, qu'il emploie pourtant, il voit en lui un etre plein de morgue, empli de lui-même, sot d'un cote, mais debrouillard, peut-être même un simulateur:et la, son indignation est grande.

Vingt ans plus tard, c'est une attitude toute differente qu'adopte K- A. Konig, eleve du Docteur Kieser d'lena, lui-même ancien eleve de Mesmer, l'inventeur du magnetisme animal. Konig (De Aristidis incubation, these de medecine d'lena, 1818, 68 p.) va se pencher avec bonte et indulgence sur le cas de bizarrerie psychosomatique le mieux documente de l'antiquite. Il s'interesse particulierement aux reves du malade, dans lesquels il voit des etats somnambuliques ou etats de sommeil critique; il constate qu'il eprouve des sensations de chaleur diffuse tres caracteristiques. Si les reves se taillent la part du lion dans l'examen de Konig, les troubles eux-mêmes et leur expression ne sont pas laisses de cote: ils sont attribues a une mauvaise distribution du fluide magnetique, qui a rendu le rheteur hypocondriaque. Mais un jour Aristide se trouve assez bien pour reprendre ses discours publics: c'est done qu'une cure magnetique s'est deroulee.

Cette cure n'est pas evoquee par Konig, alors qu'elle l'avait ete avant lui dans une revue qu'il connaissait pourtant et danslaquelle il avait indiscretement puise, Les Annales du Magnetisme animal, qui visaient, entre autres propos, a prouver que le magnetisme avait ete, sinon connu, du moins senti et exploite de tout temps. Dans les fascicules XXII et XXIII de cette revue, Aelius Aristide est abondamment commente. Selon les auteurs anonymes, l'histoire therapeutique d'Aristide est telle que les pretres d'Esculape n'ont pu la realiser sans cure magnetique. Mais, therapeutes aux visees purement pratiques, ces auteurs ne sont pas interesses par le dia-gnostic, encore moins par l'etiologie de la maladie.

Au cours du XIX erne s., les doctrines sur le magnetisme animal evoluant, les idees sur le cas d'Aristide evoluent aussi, certains details etant inventes pour etre plus conformes aux idees en vogue: par exemple, dans la Biographie un i versel le de Didot, dont le volume considere est de 1859, on raconte qu'Aelius Aristide se faisait a haute voix des autoprescriptions, ce qui n'est absolument pas dans le texte, mais qui est conforme a la doctrine de Puysegur selon laquelle le client lui-même indiquait les medications auxquelles il entendait etre soumis.

Recemment paraissait a Mons (Belgique) un livre intitule Les Reves dans les Discours Sacres d'A elius Aristide. Essai d'analyse psychologique, Universite de Mons, 1972 128 pages, par G. Michenaud et J. Dierkens. On s'attendait a un livre parfait, puisqu'il etait le fruit de la collaboration (a vrai dire posthume) d'un helleniste (le defunt) et d'un psychanalyste praticien. Or 1'execution degoit: le psychiatre et le confrere chirurgien qu'il s'est adjoint ne donnent pas l'impression d'avoir le sens de la relativite des connaissances medicates. En ce qui concerne les reves, l'apergu theorique est tres critiquable, et souvent une espece de clef des songes se mele a des affirmations psychopathologiques et etiologiques inverifiables (obsede anal, homosexuel, masochiste, homosexuel souffrant de narcissisme hypocondriaque).

Ce livre, extrêmement seduisant au premier abord, se signale en fait par un grand mepris du contexte textuel, mais aussi du contexte historique et social. Prudence, discretion, sens historique marquent au contraire les pages, anterieures, que G. Rosen consacre a Aristide dans Madness in Society, Chapters in the historical sociology ofmenta1 illness, New York, 1968, p. 110 - 121. Ce travail est le resulat d'une double formation universitaire puisque l'auteur est a la foisdocteur en medecine et docteur eslettres; son irrrrense eruditicn est chaleureuserrent soutenue par une experience clinique toujours sensible. Il souligne que dans la societe greco-romaine du He me siecle de notre ere, il existait des moyens de canaliser certains types de folie et de les rendre tolerables. Il tente egalement de presenter la psychogenese des troubles d'Aristide, en particulier de son asthme, dont il faut avouer qu'il est bien genant pour un orateur!

Ces pages affirment avec force une methode indispensable, a savoir que la maladie mentale ne peut être cernee que si l'on connait la societe dans laquelle elle se developpe. C'est ce que nous avions deja essaye de faire dans un premier travail sur Aelius Aristide (Michel et Danielle Gourevitch, "Le cas Aelius Aristide, ou memoires d'un hysterique au Ileme siecle", in L'information psychiatrique, 44, 1968, n 10, p. 897 - 902), dans un esprit pluridisciplinaire.

Une telle recherche en effet comporte un danger, celui de conduire a une reconstitution archeolgique anachronique et abusive. Il est arrive a la fin du siecle dernier que des arcneologues, a partir de trouvailles fragmentaires et sans points d'appui culturels suffisants, proposent des reconstructions hypothetiques ou une imagination ingenieuse avait autant de part que la probite scientifique. A partir de quelques morceaux de marbre, ils edifiaient un palais dans les moindres details; en realite, ils renseignaient ainsi sur leur propre climat culturel bien plus que sur celui qu'ils pretendaient ramener a la lumiere.

С'est ce qui est arrive aux magnetiseurs ou a J. Dirkens, alors que l'archeologie de l'inconscient devrait eviter ce travers. Si elle etudie les grands mythes archetypaux qui, depuis l'origine de la civilisation, symbolisent les conflits essentiels de la condition de l'homme, ceux-ci lui sont accessibles a travers l'inconscient d'auteurs anciens dont le genie a su en fagonner la transposition artistique. Or, une telle recherche emprunte sa methode a la psychanalyse, discipline clinique dont l'objet est l'homme vivant et non pas un texte immuable. L'historien ou l'archeologue de l'inconscient ne doit jamais oubiier que son ame, grace a la clef psychanalytique, entre en communication non pas avec une autre ame, mais avec l'immuable creation d'ames dissolves qui ont vecu dans une'civilisation aujourd'hui abolie.

Cependant la forme dramatique a donne une certaine autonomie aux personnages, et le dialogue avec eux se passe, dans une certaine mesure, de leur auteur. Le contact avec les auteurs eux-mêmes est encore beaucoup plus difficile a etablir, et c'est devant cette deuxieme partie de l'entreprise des analystes que la mefianc.e des philologues n'a pas encore desarme.

Resume

L'auteur etudie la decouverte de l'inconscient chez deux auteurs de l'Antiquite classique: le poete tragique Euripide (5eme s. av. J. С.), et le rheteur Aelius Aristide (2eme s. de notre ere).

Elle adopte pour Euripide un point de vue synchronique et etablit la bibliographie post-freudienne exhaustive des ecrits sur l'inconscient dans ses tragedies. La plupart des articles font l'objet d'un resume et d'un jugement.

Elle adopte pour le rheteur, auteur du recit de sa maladie et de sa cure, un point de vue diachronique; elle observe comment on est passe d'une ecoute pre-freudienne, a Tepoque de Mesmer, a une ecoute psychanalytique de son inconscient.

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